Du point de vue des collections, le Walters est un peu l'équivalent du Louvre, annexé à Guimet : des collections qui vont de la céramique de Suze et des figurines cycladiques, à Ingres, en passant parles armures flamandes de la Renaissance et la porcelaine de Sèvres. Sur le papier, ça semble un musée lambda. Sauf que le Walters est grand, très grand. Certes, les départements sont petits, si on les compare à ceux du Louvre ou du British – ici, on n'est pas à Washington. Mais chacun d'entre eux présente des pièces magnifiques, dans une muséographie typiquement anglo-saxone, qui parfois vous fait même oublier qu'il y a des objets exposés sur les meubles.
Pour ce qui est des pièces, nous avons, dans le désordre et de façon non-exhaustive, Oedipe et le Sphinx, dernière version de Ingres ; des bas-reliefs de Nimrud ; des Corot ; des groupes Jalisco en terre cuite à faire passer la Chupicuaro du quai Branly pour un jouet Kinder ; des marbres grecs dont Laurence Tardy aurait beaucoup à dire ; de l'or colombien ; des bleus et blancs chinois (notez que « white and blue », ça sonne beaucoup moins bien quand même). Bon, ils ont aussi des Palissy, ça arrive même aux meilleurs.
Parlons un peu des salles et de leur aménagement. Car si il y a bien une chose que l'École du Louvre devrait imposer, c'est les travaux pratiques en musée, certes, mais à l'international. La première chose sur laquelle on tombe en entrant dans le musée – en dehors des trois personnes différentes, plus qu'adorables, aux quelles j'ai eu affaire pour poser mon parapluie, poser mon sac et prendre un ticket d'entrée – c'est un espace aménagé pour les enfants, à côté d'un comptoir d'informations spécialement réservé aux familles, devant l'escalier menant au musée pour gamin. Et cet espace, constitué de coussin, couvertures, livres, ateliers de bricolage et autre jouets en bois, on le retrouve en plusieurs endroits du musée, notamment dans la cour des sculptures. Le musée présente également une petite exposition sur la fabrication des papiers et la réalisation d'enluminure, à grands renforts de visuels, de bandes son et de vitrines explicatives, tellement bien faite que la reliure en cuir n'a plus de secret pour moi. Et enfin, après les livrets-jeux habituels, vient le clou de l'animation : la borne interactive traductrice de hiéroglyphes. Oui, là on est d'accord, ils auraient pu se passer de cette chose ressemblant à un obélisque en carton, vous sortant pour 1$ votre prénom en poussin de caille, bras et autre chouette.
Le musée a également mis l'accent sur la science et la pédagogie à destination des adultes, en installant des bornes interactives sur la notion de momification par exemple. Mais ce qui m'a le plus frappé fut la rencontre inattendue avec une conservatrice (au sens anglo-saxon du terme, plus axée conservation-préventive et restauration que régie ou montage d'exposition donc), en pleine restauration d'une estampe japonaise, dans son laboratoire... ouvert au public. C'est une chose toute bête, mais ô combien intéressante, d'avoir remplacé les murs du labo par des fenêtres ouvertes... Et d'avoir placé dans ses boîtes des conservateurs qui aiment leur métier et surtout le faire partager. Alors oui, on nous dira au quai Branly qu'eux aussi font la même chose avec la colonne de musique. Certes, il peut arriver que l'on voit une blouse blanche évoluer entre deux rayons. Bémols : il fait noir, les vitres ne s'ouvrent pas, et hormis au rez-de-chaussée et au sous-sol, on n'a aucun accès aux vitres de cette colonne (généralement vide). A Baltimore, c'est la conservatrice qui vous interpèle pour vous raconter comment le vinaigre dans la teinture verte de la robe de la Geisha est en train de ronger le papier.
Et pour finir, un mot de la muséographie en elle-même. Si les classiques period-rooms sont présentes dans les départements de peinture et d'objet d'art de l'époque moderne, les salles d'antiquité et d'objets d'art du Moyen Age ont opté pour une présentation « contextualisante », avec les reconstitutions d'arcades de bâtiment religieux ou l'aménagement d'une salle à manger digne de celle du roi Arthur (et sur la table, il y a des jeux de dames, pas de cul de chouette malheureusement), voire d'un intérieur zen pour la salle consacrée à la cérémonie du thé, où les banquettes en velours gris laissent place à des paillasses en rotin. Le deuxième niveau, à droite de la cour de sculptures (décidément, la cour en marbre, agrémentée de verdure, est vraiment un environnement parfait pour présenter ce genre de pièces!) présente quant à lui les salles les plus impressionnantes. Tout d'abord la salle d'armes, où épées, fusils et autres trucs coupant sont exposés en trophées. Vient ensuite la reconstitution d'un studiolo,avec hautes vitrines en bois garnies de livres, cranes, naturalia et petites antiquités. Puis le cabinet de curiosité. Un vrai, un grand, avec crocodile et dent de narval – corne de licorne pendus au plafond. On retrouve bien entendu les vitrines d'objets de sauvages d'Asie et d'Afrique mélangés, puis d'Amérique, et ceux du génie humain (où se trouve le Palissy, cherchez l'erreur !). Dans ce cabinet j'y ai encore croisé un gardien adorable (une qualité qui semble être obligatoire pour travailler en musée à Baltimore – ça change), qui ne comprenait pas pourquoi je reprenais cinq fois la vitrine Amérique en photos. Après lui avoir expliqué que sans lumière, c'est difficile de faire une photo nette, il m'a tout simplement dit d'allumer mon flash. La notion de conservation ne semble également pas être la même.
Le musée présente également en ce moment une exposition sur le culte des reliques, un mix entre les expos Byzance et la France Romane si l'on veut schématiser, avec les mêmes objets, la même muséo, et la même peinture sur les murs. Ca reste que les pièces sont sublimes, et que le propos est intéressant. Tout comme le livre d'or, remplacé par un jeu : trois cubes, dont les faces posent des questions en rapport avec la notion de pèlerinage. Les visiteurs sont invités à répondre à la question qu'ils ont tiré sur un petit carton, qui sera glissé dans un album à la fin de l'exposition. Moi, je suis tombée sur « en quoi les musée sont-ils un lieu de pèlerinage ? ». Véridique. Seulement voilà, un simple petit carton n'aurait pas été suffisant à un sujet d'examen ! Quoi qu'il en soit, cette idée est parfaite pour inciter les visiteurs à laisser leurs commentaires sur l'exposition, leurs réflexions sur la notion de musée, et à s'interroger plus profondément sur leur expérience vécue ici.
Amis muséologues...